mercredi 25 mai 2016

CCCVI ~ Voyages : ouverture

Il croyait, quand sur lui tout croula,
Voir l’abîme ; eh bien non ! l’abîme, le voilà.
Phtos est à la fenêtre immense du mystère.
Il voit l’autre côté monstrueux de la terre ;
L’inconnu, ce qu’aucun regard ne vit jamais ;
Des profondeurs qui sont en même temps sommets,
Un tas d’astres derrière un gouffre d’empyrées,
Un océan roulant aux plis de ses marées,
Des flux et des reflux de constellations ;
Il voit les vérités qui sont les visions ;
Des flots d’azur, des flots de nuit, des flots d’aurore,
Quelque chose qui semble une croix météore,
Des étoiles après des étoiles, des feux
Après des feux, des cieux, des cieux, des deux, des cieux !
Le géant croyait tout fini ; tout recommence !
Ce qu’aucune sagesse et pas une démence,
Pas un être sauvé, pas un être puni
Ne rêverait, l’abîme absolu, l’infini,
Il le voit. C’est vivant, et son œil y pénètre.
Cela ne peut mourir et cela n’a pu naître,
Cela ne peut s’accroître ou décroître en clarté,
Toute cette lumière étant l’éternité.
Phtos a le tremblement effrayant qui devine
Plus d’astres qu’il n’éclot de fleurs dans la ravine,
Plus de soleils qu’il n’est de fourmis, plus de cieux
Et de mondes à voir que les hommes n’ont d’yeux !
Ces blancheurs sont des lacs de rayons ; ces nuées
Sont des créations sans fin continuées ;
Là plus de rives, plus de bords, plus d’horizons.
Dans l’étendue, où rien ne marque les saisons,
Où luisent les azurs, où les chaos sanglotent,
Des millions d’enfers et de paradis flottent,
Éclairant de leurs feux, lugubres ou charmants,
D’autres humanités sous d’autres firmaments.
Où cela cesse-t-il ? Cela n’a pas de terme.
Quel styx étreint ce ciel ? Aucun. Quel mur l’enferme ?
Aucun. Globes, soleils, lunes, sphères. Forêt.
L’impossible à travers l’évident transparaît.
C’est le point fait soleil, c'est l’astre fait atome ;
Tant de réalité que tout devient fantôme ;
Tout un univers spectre apparu brusquement.
Un globe est une bulle ; un siècle est un moment ;
Mondes sur mondes ; l’un par l'autre ils se limitent.
Des sphères restent là, fixes ; d’autres imitent
L’évanouissement des passants inconnus,
Et s’en vont. Portant tout et par rien soutenus,
Des foules d’univers s’entrecroisent sans nombre ;
Point de Calpé pour l’aube et d’Abyla pour l’ombre ;
Des astres errants vont, viennent, portent secours ;
Ténèbres, clartés, gouffre. Et puis après ? Toujours.
Phtos voit l’énigme ; il voit le fond, il voit la cime.
Il sent en lui la joie obscure de l’abîme ;
Il subit, accablé de soleils et de cieux,
L’inexprimable horreur des lieux prodigieux.
Il regarde, éperdu, le vrai, ce précipice.
Évidence sans borne, ou fatale, ou propice !
Ô stupeur ! Il finit par distinguer, au fond
De ce gouffre où le jour avec la nuit se fond,
À travers l’épaisseur d’une brume éternelle,
Dans on ne sait quelle ombre énorme, une prunelle !

Victor Hugo, extrait de « La Découverte du titan » in La Légende des siècles.

Parce que pendant ces trois dernières semaines, je n’ai eu qu’un seul compagnon.

Relativement sympathique mais un peu boudeur dès qu’on tente de lui tirer le portrait.

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