mercredi 9 décembre 2015

CCLXXIII ~ Seigneur, qu’avez-vous fait de mon âme…

( … devrais-je, là encore, accuser les bêtes de me l’avoir mangée ?)

Lu aujourd’hui, à la toute fin de la (très bonne) biographie d’Aliénor d’Aquitaine rédigée par Régine Pernoud :

« Concevons que notre travail présente une lacune : il ne comporte aucun de ces jugements péremptoires que l’on a coutume d’émettre lorsqu’on touche au Moyen Âge. C’est pourtant une habitude consacrée par l’usage. Lorsqu’on traite, par exemple, de l’Antiquité ou du Grand Siècle, on rapporte sans sourciller les orgies impériales ou les scandales de cour ; au contraire, quand il s’agit du Moyen Âge, il est nécessaire de marquer, par quelques phrases bien senties, qu’en dépit de la chevalerie, de la courtoisie et des cathédrales, les gens de cette époque étaient de tristes sires, brutaux et ignorants, que les seigneurs était cruels, le clergé dissolu, le peuple misérable et sous-alimenté – ou plutôt ne parlons même pas de « sous-alimentation », puisque à en croire certains auteurs modernes, c’est la notion même d’alimentation qui devait leur faire défaut… Faute de quoi, on passe pour naïf. Il y a probablement une grande naïveté à préférer le Mont-Saint-Michel à l’église Saint-Sulpice, ou la Madeleine de Vézelay à la Madeleine de Paris ; celui qui tombe dans ce travers s’entendra rappeler, avec un indulgent sourire, que le Moyen Âge était loin d’être une époque « idyllique ». Sur quoi on ne sait plus très bien où est la naïveté : car en somme, y eut-il jamais une époque qui puisse être qualifiée d’idyllique ? Montrer tel ou tel de ces dix siècles du « Moyen Âge » sous des couleurs autres que celles des trop fameuses « ténèbres », est-ce sous-entendre que ces siècles n’ont pas connu le cortège de souffrances et de misères, d’injustices et de bassesses qui est le lot le plus courant de l’humanité depuis que le monde est monde ?
On pourrait tout au plus faire remarquer que ce qui distingue une époque d’une autre, c’est l’échelle de valeurs : ainsi, au XIXe siècle, le terme de « valeurs » désigne des actions susceptibles d’être cotées en Bourse ; au Moyen Âge, on appelle ainsi l’estime que ses exploits valent au chevalier, sa beauté, son courage, etc. Quant à dire que tous les chevaliers n’ont pas la « valeur » que suppose et exige la notion de chevalerie, n’est-ce pas simple truisme ? L’expérience de la vie quotidienne ne suffit-elle pas à nous apprendre qu’un homme est rarement parfait ?
Quoi qu’il en soit, nous nous sommes abstenu de prendre le ton du censor morum, et nous excusons de manquer ainsi aux usages. Le lecteur voudra bien y suppléer.
À moins que, mis en présence de ce que nous apportent les documents, il ne se sente, comme nous l’avons été nous-mêmes, moins enclin à juger qu’à comprendre. »

Et pan.


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