jeudi 12 novembre 2015

CCLXVII ~ Été

Henri Privat Livemont, La Vague.

Été ! roche d’air pur et toi, ardente ruche
De mer éparpillée en mille mouches sur
Les touffes d’une chair fraîche comme une cruche
Et jusque dans la bouche où se mouille l’azur,

Et toi, maison brûlante, espace, cher espace
Tranquille, où l’arbre fume et perd quelques oiseaux,
Où crève infiniment la rumeur de la masse
De la mer, de la marche et des troupes des eaux,

Tonnes d’odeurs, grands ronds par les races heureuses
Sur le golfe qui mange et qui monte au soleil,
Nids purs, écluses d’herbe, ombre des vagues creuses
Bercent l’enfant ravie en un poreux sommeil.

Aux cieux vainement tonne un éclat de matière
Embrase-t-il les mers, consume-t-il les monts,
Verse-t-il à la vie un torrent de lumière
Et fait-il dans les cœurs hennir tous les démons,

Toi, sur le sable tendre où s’abandonne l’onde,
Où sa puissance en pleurs perd tous ses diamants,
Toi qu’assoupit l’ennui des merveilles du monde,
Vierge sourde aux clameurs d’éternels éléments,

Tu te fermes sur toi, serrant ta jeune gorge,
Âme toute à l’amour de sa petite nuit,
Car ses tumultes purs, cet astre fou qui forge
L’or brut d’événements bêtes comme le bruit,

Te font baiser les seins de ton être éphémère,
Chérir ce peu de chair comme un jeune animal
Et victime et dédain de la splendeur amère
Choyer le doux orgueil de s’aimer comme un mal.

Fille exposée aux dieux que l’Océan constelle
D’écume qu’il arrache aux miroirs du soleil,
Aux jeux universels tu préfères mortelle,
Toute d’ombre et d’amour, ton île de sommeil.

Cependant du haut ciel foudroyant l’heure humaine,
Monstre altéré de temps, immolant le futur,
Le Sacrificateur Soleil roule et ramène
Le jour après le jour sur les autels d’azur…

Mais les jambes, dont l’une est fraîche et se dénoue
De la plus rose, les épaules, le sein mûr
Sous les meules de brise aux écumeuses roues
Brûlent abandonnées autour du vase obscur

Où filtrent les grands bruits pleins de bêtes puisées
Dans les chambres de feuille et les cages de mer
Par les moulins marins et les huttes rosées
Du jour… Toute la peau dore les treilles d’air.

 Paul Valéry

 (J’ai très envie de lire La Jeune Parque.)

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