lundi 30 novembre 2015

CCLXXI ~ Jours de repos, le bilan.

Des quelques jours de congé auxquels j’eus droit en cette fin novembre, trois belles découvertes.

Tout d’abord, celle de Julia Margaret Cameron, dont je connaissais le nom sans jamais m’être vraiment penchée sur son œuvre ; c’est désormais chose faite grâce à la première partie de l’exposition Qui a peur des femmes photographes ?. Photographe britannique du XIXe siècle, très proche du courant préraphaélite (elle est l’auteur de cette fameuse photographie où Alice Liddell et Lewis Carroll échangent un baiser), elle a immortalisé un grand nombre de personnalités de son époque, comme Charles Darwin, Virginia Woolf ou encore Thomas Carlyle, mais a aussi réalisé de très belles compositions sur des thèmes plus édifiants.

Beatrice (Beatrice Cenci, pas la Beatrice de Dante – je me suis fait avoir au début).
Circé et Un ange au sépulcre


Deuxième découverte, tchèque cette fois-ci : Malá morská víla, soit La Petite Sirène. Le film suit scrupuleusement le conte d’Andersen, j’étais donc d’emblée vendue pour le scénario (ce conte étant mon préféré), mais les images sont, en plus, superbes (pour qui aime l’eau et les robes de voile) et l’actrice principale (Miroslava Safrankova) doit faire partie des plus belles femmes du monde. Bref, ce film est une friandise pour les yeux, et pour les oreilles, sa musique ayant été écrite par Zdeněk Liška, l’un des plus grands compositeurs du cinéma tchèque des années 1950 à 1980.

Franchement.
FRANCHEMENT.


Et pour finir, peu avant de succomber à un début d’angine (que seraient les vacances sans la fièvre), j’ai misérablement fauté en achetant un livre de l’illustratrice japonaise Miyako Hasumi, que j’ai découvert et adoré presque simultanément. Elle semble difficile à traquer sur la Toile, j’ai simplement trouvé son blog où elle poste ses travaux en cours, mais pas (encore) de galerie en ligne. L’influence Art nouveau de son trait n’est pas étrangère à mon coup de cœur, tout comme l’influence slave (certains de ses monochromes pourraient être issus de la plume de Mucha, presque à s’y méprendre).


Source.

Sur ce, entrons avec délicatesse dans le mois de décembre (alors que je me crois toujours début octobre, mais je me soigne.)

mercredi 25 novembre 2015

CCLXX ~ Sukeban Guerilla


Stylisme : Nec. (Angeline Bertron)
Maquillage : Ouiche Laurene
Photographie : Simon Genillier Roelsgaard



Je l’ai juré, pas plus tard qu’hier encore. Je ne mens ni ne triche, alors je ne te cacherai pas que pour le moment, j’attends. Je bois et j’insulte les passants pour apaiser l’ennui, mais cela me semble toujours plus intéressant que les misérables promesses dont tu ne cesses de me parler depuis que nous sommes entrés dans cette pièce.
Regarde, tu me fais bailler.
Regarde mieux, je baille encore.
J’ai pourtant horreur de bailler ; c’est l’ivresse que j’aime. Je me suis donnée à elle voilà des années, depuis le premier souffle, et j’arrive maintenant à apprécier ses moindres finesses, en attendant l’ouragan qui me désarçonnera complètement. Dès que je le trouverai, je le suivrai, loin ; et si pour le goûter je dois supprimer une vie, eh bien… ! Mais je ne suis pas mauvaise jusqu’à la moelle, je me trouverai une ordure infâme, ou alors une âme trop naïve, parce que leur espèce me fait horreur.


Tu ris : évidemment que je ne vais pas sortir tuer quelqu’un ; je n’ai aucune raison de le faire maintenant. Pour l’instant, je te l’ai dit, j’attends. Je suis encore une femme, mais un jour mon long manteau abritera une rafale de vent, et j’aurai atteint mon but.
Ah… ! j’ai parlé de meurtre et c’est tout ce que tu retiens… Ta moquerie est à ton image : faible. Rien de ce que j’ânonne ne t’inspire, même si je m’y prends mal, même si mon idée dépasse les mots dont je l’habille… C’est pourquoi je préfère de loin le vent aux hommes : s’il décide de tout renverser, alors le monde n’a qu’à s’incliner. C’est ainsi que je veux vivre ; l’emphase n’est qu’un moyen. Si vivre seule dans une grotte me transporte, alors soit ; élever tes enfants, pourquoi pas (mais jamais, tant que tu me feras pitié de la sorte), mais si je désire me laisser porter par ma furie, rien d’autre ne m’importera. Pourquoi devrais-je me soumettre à ce monde, moi qui jamais n’ai décidé d’y naître ?



Non, non. Rien que du vent et de la fureur.

(Bonus « Si, si, le vent est mon allié ».)
~~~ 

L’an passé, mon amie Angeline se lançait dans une collection centrée sur ces gangs de jeunes motardes japonaises, avec pour mots d’ordre beaucoup de maille et des couleurs vives. Elle me demanda de l’aider pour la visualisation de ses prototypes, et l’expérience m’a beaucoup plu tant elle se plaçait à des lieues de ce que je porte et aime porter.

Tremblez.
Son incroyable ensemble manteau x pull x pantalon, aperçu à son défilé de fin d’année, m’a complètement tapé dans l’œil par son originalité : maille sérigraphiée, esprit 1970 et coupes inspirées du kimono… Ce coup de cœur fut d’autant plus surprenant que le mélange de bleu et d’orange doit être la combinaison que j’apprécie le moins, sur le spectre des couleurs… ! Mais ce mélange aérien et imposant à la fois a réussi à complètement me charmer.
Bref, j’étais vraiment heureuse de pouvoir incarner l’une de ses créations. Longue vie à Nec., n’hésitez pas, d’ailleurs, à jeter un coup d’œil à l’album de la collection Sukeban Guerilla sur sa page !

lundi 23 novembre 2015

CCLXIX ~ Les doux monstres de Sakizou


Alors que, pour diverses raisons, je suis séparée de l’immense majorité de mes livres depuis plusieurs mois (me donnant parfois l’impression que l’on m’eût arraché mes pauvres enfants), je ressens ce soir le manque de plusieurs de mes recueils d’illustrations, plus particulièrement de ceux de Sakizou, plus particulièrement de celui où elle croque chimères et démons de son coup de crayon si décadent. Et alors que je me lançais à l’assaut d’Internet pour chercher quelques-unes de ces images que je chéris tant, je me disais qu’il serait dommage de ne pas vous en faire profiter un peu…

 Lilith

Seraphim 

Mélusine.
(Si je ne suis pas habillée de la sorte le jour de mon mariage, alors rien ne va plus.)

Undine I

Mermaid & Undine II

 Nereid

samedi 21 novembre 2015

CCLXVIII

C’est sans doute la complainte la plus chantée en ces lieux : la vie quotidienne est irritante. Ainsi, lorsque je reçois quelques regrets comme quel dommage que tu ne parles plus de tes sorties, de tes activités comme tu le faisais avant, je ne sais trop quoi répondre. Sans doute, oui. Mais toutes ces musiques que je partage ici, ces poèmes que je lis chez les uns, chez les autres, sont je crois la forme plus achevée de partage de ma vie quotidienne qui me vienne à l’esprit. Lorsque je lis par exemple, chez Dante (Paradis, j’ai oublié dans quel chant) :

« Jamais cœur de mortel ne fut si disposé à la dévotion, ni aussi prompt à se rendre à Dieu de tout son gré que je devins à ces paroles, et mon amour se mit en lui si fort qu’il éclipsa Béatrice dans l’oubli. Elle n’en fut pas blessée, mais elle elle rit, et la splendeur de ses yeux riants divisa en morceaux mon âme unie. »

je vibre ardemment face au sentiment d’amour infini que le poète décrit face à Béatrice, et le publier à mon tour ici, en me disant que cela touchera peut-être un cœur autre que le mien, me remplit bien plus de joie qu’ajouter un peu d’inintérêt à celui qui pullule déjà trop.


Ceci est d’autant plus vrai en ces temps troublés, alors que je suis convaincue, depuis bien longtemps, que la puissance des arts est telle qu’elle peut sauver bien des situations délicates, même politiques, même belliqueuses…

Je passe tant de temps le nez dans les livres, à en rêver, en acheter beaucoup trop, à les dévorer ou les repousser d’un éclat de voix (je suis violente en fait, quand je n’aime pas…) qu’il est impossible d’imaginer cet endroit sans que poèmes et citations ne prennent une grande place, parce qu’ils représentent la majeure partie de mon existence. Et cela ne fait qu’empirer !

J’ai vu certaines personnes tristes que Paris soit silencieuse ces derniers jours. Sortir à la terrasse d’un bar n’est pourtant pas la seule façon de « résister ». Restez chez vous si c’est ainsi que vous vous sentez le mieux, seul ou avec vos proches, mangez, riez, buvez, aimez, et surtout, lisez, lisez… ! jusqu’à en perdre la notion du temps. Jusqu’à ce que vos lectures, de divertissantes, gagnent en noblesse et deviennent essentielles. Jusqu’à ce qu’elles déracinent l’ennui, le désespoir, et tous les dramatiques rejetons des tristes habitudes.

jeudi 12 novembre 2015

CCLXVII ~ Été

Henri Privat Livemont, La Vague.

Été ! roche d’air pur et toi, ardente ruche
De mer éparpillée en mille mouches sur
Les touffes d’une chair fraîche comme une cruche
Et jusque dans la bouche où se mouille l’azur,

Et toi, maison brûlante, espace, cher espace
Tranquille, où l’arbre fume et perd quelques oiseaux,
Où crève infiniment la rumeur de la masse
De la mer, de la marche et des troupes des eaux,

Tonnes d’odeurs, grands ronds par les races heureuses
Sur le golfe qui mange et qui monte au soleil,
Nids purs, écluses d’herbe, ombre des vagues creuses
Bercent l’enfant ravie en un poreux sommeil.

Aux cieux vainement tonne un éclat de matière
Embrase-t-il les mers, consume-t-il les monts,
Verse-t-il à la vie un torrent de lumière
Et fait-il dans les cœurs hennir tous les démons,

Toi, sur le sable tendre où s’abandonne l’onde,
Où sa puissance en pleurs perd tous ses diamants,
Toi qu’assoupit l’ennui des merveilles du monde,
Vierge sourde aux clameurs d’éternels éléments,

Tu te fermes sur toi, serrant ta jeune gorge,
Âme toute à l’amour de sa petite nuit,
Car ses tumultes purs, cet astre fou qui forge
L’or brut d’événements bêtes comme le bruit,

Te font baiser les seins de ton être éphémère,
Chérir ce peu de chair comme un jeune animal
Et victime et dédain de la splendeur amère
Choyer le doux orgueil de s’aimer comme un mal.

Fille exposée aux dieux que l’Océan constelle
D’écume qu’il arrache aux miroirs du soleil,
Aux jeux universels tu préfères mortelle,
Toute d’ombre et d’amour, ton île de sommeil.

Cependant du haut ciel foudroyant l’heure humaine,
Monstre altéré de temps, immolant le futur,
Le Sacrificateur Soleil roule et ramène
Le jour après le jour sur les autels d’azur…

Mais les jambes, dont l’une est fraîche et se dénoue
De la plus rose, les épaules, le sein mûr
Sous les meules de brise aux écumeuses roues
Brûlent abandonnées autour du vase obscur

Où filtrent les grands bruits pleins de bêtes puisées
Dans les chambres de feuille et les cages de mer
Par les moulins marins et les huttes rosées
Du jour… Toute la peau dore les treilles d’air.

 Paul Valéry

 (J’ai très envie de lire La Jeune Parque.)

jeudi 5 novembre 2015

CCLXVI ~ Débora



Assise sur de larges étoffes à l’ombre d’un palmier, Débora, songeuse, écoute deux savants débattre d’une ligne d’Écriture. Son œil brille d’intérêt, et son esprit déjà saisit les nuances dont la finesse leur échappe. Une virile pudeur les retient de lui demander son avis, à elle, la femme ! Mais elle devine leurs hésitations, et d’un mot les aide à dérouler leur pensée. Tout le jour, ceux qui le désirent peuvent venir lui exposer leurs litiges, et elle répond avec intelligence ; aux rares qui, déçus par un oracle qu’ils refusent d’entendre, lui crachent le venin du dédain, elle répond d’une voix ardente : « Ne méprise pas celle qui sait de quelle main viendra la mort du Cananéen. » Tous, alors, se taisent, et aux ignorants qui, encore ! objecteraient sur sa prophétie, les Anciens rappellent que jamais Débora n’a connu l’erreur, et que de sa bouche ne coule que le miel de la vérité.


Pieuse femme que Débora ! Elle accomplit fidèlement ses devoirs auprès d’un époux trop épris pour tout comprendre, respecte chaque précepte, chaque rituel, et nul n’aurait pu trouver, jusque dans les ombres de l’enfance, la trace d’une seule mauvaiseté. On la regarde comme sainte, et chaque jour on la salue avec émotion, car sa simple présence devient bénédiction pour les justes qui l’approchent. Le soir, elle se rend au bain avec sa servante, et offre du jasmin aux enfants qu’elle croise sur sa route. Arrivée au bassin, elle soupire doucement, le regrette aussitôt. « Je vis pour la voie que Tu as tracée pour moi, ô Saint, Béni-Sois-Tu ! Que me soit pardonné ce soupir de lassitude, brève entorse à ma dévotion… ! » Et, trempant les mains et les pieds dans l’eau mêlée de fleurs, elle psalmodie avec tendresse.


Elle parfume sa chevelure, y accroche chaînes et anneaux d’or, délaisse son vêtement pour la robe d’épousée. Son chant s’amplifie, se colore d’une soie grave et chaude dont la richesse des profondeurs en forme les volutes moirées, et résonne maintenant jusqu’aux mondes subtils. De sa voix naissent des anges qui, dansant tout autour d’elle, l’élèvent jusqu’au canal des prophètes, et Débora, toute à son extase, continue de chanter. « Adonai ! Adonai ! ». Elle touche aux portes d’un monde que peu de clairvoyants peuvent se vanter d’avoir frôlé, et qui éveille dans son âme de puissants tourbillons d’amour. Sa vie, la nuit, se distend dans cette insoutenable lumière où les malakhim supérieurs lui murmurent, caressants, les mystères à révéler aux ignorants. Mais les faiblesses de son corps fatigué ternissent toujours  les merveilles des palais où elle pénètre, et elle revient à elle au petit matin le cœur gonflé d’une sereine mélancolie. « Je continuerai de chanter Tes mystères et Ta gloire, et un jour… ! je pénétrerai l’Atsilout, et je Te verrai, et Tu embrasseras Ta fille, ô Saint, Beni-Sois-Tu ! Et ce jour-là sera le plus heureux, car, enfin ! je serai morte… ! »



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Enfin, enfin, enfin… ! Enfin je peux publier ici cette série de photos, réalisée en mai dernier par la toujours si talentueuse Alexandra Banti, et enfin je peux en profiter pour illustrer cette musique que j’ai écoutée en boucle au printemps, et que je rêvais de lier à un délire orientalisant (pas cliché pour deux sous, mais par ici, on s’en fiche éperdument.) Tout est parti de cette coiffe superbe achetée sur un coup de tête en mars ou en avril, dont je peux maintenant montrer les rejetons. Franchement, je ne suis que joie ! 

La légende familiale veut que le prénom qui m’était originellement destiné fut Déborah, mais que mes parents changèrent d’avis le jour même de ma naissance. En est resté une grande tendresse pour ce prénom et pour sa légende : Débora, seule femme juge de tout l’Ancien Testament, prophétesse de surcroît, et chanteuse. Le chant antique préfigure tant la poésie que j’ai toujours imaginé en elle une sorte de pré-Béatrice guidant Dante, et puis j’ai toujours eu un faible pour les mystiques (tiens donc !). Bref, beaucoup de choses qui me tenaient à cœur ici.

L’un de mes fantasmes est réalisé, je suis à l’affiche du théâtre de la Renaissance : je peux mourir tranquille.
Transparent White Star