vendredi 31 juillet 2015

CCXLII ~ Retour de vacances.

Vrai sauvage égaré dans la ville de pierre
À la clarté du gaz je végète et je meurs
Mais vous vous y plaisez, et vos regards charmeurs
M’attirent à la mort, parisienne fière.

Je rêve de passer ma vie en quelque coin
Sous les bois verts ou sur les monts aromatiques,
En Orient, ou bien près du pôle, très loin,
Loin des journaux, de la cohue et des boutiques.

Mais vous aimez la foule et les éclats de voix,
Le bal de l’Opéra, le gaz et la réclame.
Moi, j’oublie, à vous voir, les rochers et les bois,
Je me tue à vouloir me civiliser l’âme.

Je vous ennuie à vous le dire si souvent :
Je mourrai, papillon brûlé, si cela dure…
Vous feriez bien pourtant, vos cheveux noirs au vent,
En clair peignoir ruché, sur un fond de verdure !

Charles Cros, Plainte 

mardi 14 juillet 2015

CCXLI ~ Light of my life, fire of my loins.

Voici longtemps que je n’avais pas parlé de lolita ici, du moins de façon un peu plus personnelle que… par le vêtement.

Curieux mois de juillet, qui soude autant qu’il divise ; il me semble que depuis que j’ai posé le pied dans ces mondanités, il y a un peu plus de cinq ans, les critiques se succèdent et se ressemblent : le milieu est hypocrite, pédant, superficiel, sans intérêt. Ces mêmes critiques se retrouvent sans doute en tous milieux et en tous temps ; je suis persuadée, bien que je ne connaisse pas le sujet à fond, que les salons qui firent les beaux jours de Paris éveillèrent les même considérations… avec peut-être plus de verve et de talent dans la dénonciation.
La déception suivra l’humanité jusqu’au tombeau, car l’Autre n’est pas un miroir, mais bien… un autre !

Pour ma part, j’ai fait mon deuil du lolita actuel depuis que j’ai compris, il y a un peu plus d’un an, que le courant ne sera jamais un courant artistique. Il en possédait pourtant le potentiel, la matière, la poésie, mais son ouverture sur le monde occidental, sa popularité, son mercantilisme en ont fait un microcosme de la banalité et de la médiocrité de la modernité. Je le vis bien, car après tout, j’y ai forgé de belles amitiés, en ai tiré beaucoup de plaisirs…
Je n’ai guère envie de me lancer dans une énième diatribe contre la superficialité de la communauté, qui existe, mais à laquelle je ne souhaite plus du tout m’intéresser. Pour une belle santé mentale, fuyons le gâchis ! Car c’est cela qui mine, également, le lolita : les mesquineries, les cachotteries, les jalousies ; les dragons qui essaient de le faire rentrer dans leur moule, et qui s’y brisent les dents. Fut un temps, demi-dragon, où je me lamentais sur la perte de goût et de références classiques du milieu, et tout ceci m’aura apporté bien plus de rancœur qu’autre chose. Les froufrous rori sont passés de manifeste à divertissement, tant pis, tant mieux, de toute façon, tout ceci est amené à périr un jour, comme le reste.

Dès lors, dans ce marasme pessimiste, comment appréhender gaiement l’avenir ? À ma petite échelle, j’ai trouvé deux axes sympathiques.

Je rappelle déjà brièvement mon idée, basique, de ce qu’était pour moi le lolita lorsque je suis tombée dedans : un manifeste esthétique, social, et même politique. La lolita refusait la médiocrité du monde contemporain en choisissant un chemin semé d’embûches, où elle forgerait son caractère dans la confrontation à la banalité de l’autre : l’armure de roses des textes fondateurs (un peu nazes, ça fait du bien de le dire, mais au moins il y avait de l’idée) prouve bien la volonté de combat. Rejet de la culture de divertissement par le travail sur soi, l’apparence vécue non comme exutoire (it's just a phase) mais comme construction de l’identité. Rejet de la vision patriarcale de la femme-objet. Rejet de la consommation de masse. Etc., etc.
Là-dessus, force est de constater qu’il n’en reste pas grand-chose. L’attrait de la différence, dans un monde qui place si haut l’identité individuelle, a ruiné ce qu’elle voulait forger. Le problème vient, je pense, du Japon lui-même, où le consumérisme des cultures marginales est si puissant qu’il finit par en ronger la raison d’être. Déjà, l’idée de marginalisation, au Japon, est en elle-même un paradoxe ! Il y a tant à étudier autour, le sujet est passionnant, mais en tant qu’observateur extérieur, hélas…

Si je dois donc résumer mon problème face au lolita le voici : j’y cherchais une philosophie, et n’y ai trouvé que quelques vagues thèses sociologiques. Le lolita n’a pas d’essence, il n’est qu’un agrégat d’individualités qui se sont réunies par passion commune et non par raison d’être, pour créer une société dans la société et non pour bouleverser celle d’où naissaient les problèmes. Révolutionnaires en dentelles, on vous aurait pourtant écrasé l’assommante modernité à coups d’ombrelles et de tasses de thé !
Ainsi, le changement, si changement il y aura, se fera à échelle individuelle, en attendant, peut-être, un leader éclairé. (C’est mon côté judéen, j’attends toujours le Messie.)

 Bref, je m’égare. Voici les deux axes promis.


~ La création artisanale.

C’est un peu mon dada en ce moment, mais je suis vraiment, sincèrement emballée par toutes les jeunes marques qui poussent un peu partout. L’envie de s’approprier une esthétique, de lui rendre hommage par la création est une attitude bien plus saine que d’attendre que la sacro-sainte burando vous ponde son énième imprimé dans la bouche moyennant une qualité toujours plus minable pour des prix toujours plus ridicules.

Mon dernier coup de cœur : The Wooldland Path de Mulberry Chronicles, jeune marque australienne.
On râle beaucoup sur l’esthétique corrompue du lolita, sur ce besoin d’en faire toujours plus dans la démesure ; j’avoue que je suis de plus en plus tolérante à certaines idées tant qu’elles possèdent un fond, une histoire. Il y a tant à raconter avec un vêtement (prolongement visible de l’invisible, j’en discutais hier seulement avec mon poète préféré), et je trouve que les petites marques ont cette créativité et cette envie de partager plus qu’un bout de tissu, avec des univers cohérents, des bouts de chemins à emprunter pour forger son propre récit, son propre personnage le temps d’une journée.
C’est ce qui me plaît lorsque je regarde des tenues du jour, c’est ce qui est si appréciable chez des personnes comme Aliénor, qui mélangent vraiment plein de domaines et de références différentes (même si, et c’est là où le bât blesse, il faut encore les maîtriser).
Évidemment, cette jeune vague créatrice a elle aussi ses travers, tant elle est liée à des facteurs qui lui sont extérieurs ; on y retrouve les aléas de la mode, de la popularité, mais au moins…! elle suppose l’action et non la soumission à un courant qui nous dépasse.
J’espère que ces travaux de jeunes créateurs resteront loin de la spéculation qui ronge également la communauté, en plus de lui être totalement antithétique.


~ Le vivier artistique.  

Le lolita ne sera vraisemblablement pas un courant artistique majeur du XXIe siècle.  Qu’importe. Ce qui m’exalte, c’est de voir qu’il put être un terreau fertile au talent de jeunes personnes, et qu’il le sera sans doute encore, principalement en illustrateurs et en photographes (car le lolita reste surtout visuel…) qui, même s’ils ont plus ou moins quitté le mouvement et ses délires mondains, ont gardé cette sensibilité onirique et pure de la jeune fille, du déchirement que cause le réveil et l’entrée dans la vie matérielle. Mélange de romantisme, de symbolisme et de surréalisme, notre monde désenchanté n’en a pas fini avec le conte et l’imaginaire dont se repait le lolita.

Les Bois magiques, Oe Nothera.

Autre chose fortement exaltante, la richesse de la féminité qui s’en dégage. À mon sens, le poète n’a pas de sexe ; néanmoins, si rares ont été les occasions pour les femmes de montrer au monde la vierge et la sorcière à travers leur propre sang, et non déformées par le miroir viril ! Enfin, nous pourrions prendre la plume sur notre propre mystique ! Le lolita, au sortir de l’adolescence, m’attirait également pour cela, pour ce contraste entre la femme et la jeune fille, pour cette figure dérangeante de la poupée (autour de laquelle j’aimerais travailler d’ailleurs, dans l’esprit de Koitsukihime), pour ce poison de la féminité qui prend lentement conscience d’elle-même, pour le passage de la fragilité de la métamorphose à la puissance de celle qui connaît son pouvoir. 

Si le mouvement tel qu’il évolue ne plaît plus, ne restent que deux possibilités : le vivre tranquillement de son côté (le partage n’est en rien une obligation, surtout avec des personnes dont les intentions nous déplaisent), ou alors en tirer le suc pour agir et lui redonner ses lettres de noblesse.

« La fleur est une disposition de l’esprit, la semence en est le métier. » 
Zeami.

lundi 13 juillet 2015

CCXL ~ Moonchild


Parfois, descendant de sa sphère, la Lune vient chérir les enfants qui l’appellent dans la brume du cauchemar, et elle dépose sur leur front son baiser d’argent.
Oh, tendre consécration ! Oh, chaleur sacrée qui irradie d’un visage alors torturé, infinies connexions qui se créent en l’esprit d’une créature fragile de laquelle, enfin, sont arrachées les entraves !



Charitable Selénê, comme j’eusse aimé que tu vinsses me rendre visite en l’une de mes nuits troublées, où les errances de mon peuple me déchirent le ventre, où mon sang, bouillonnant du néant de ma race, me donne l’envie de tuer en pleurant d’amour… ! Mon cœur est trop impétueux encore pour le pardon, et je voyage de rêve en rêve, terrifiée, avec pour seule certitude le vaste gâchis des miens.
Alors je te regarde te mouvoir dans ta tranquillité nacrée, te conjurant, ô déesse aux courbes sereines, de soulager ma peine et de soutenir ma plume. Car derrière la pensée d’une fuite libératrice vers les limbes se raidit la fière espérance, au sceptre d’un cristal inaltérable, armée pour la lutte. Tu protèges les combattants nocturnes, tu guides leur volonté de ton tendre reflet lorsque la violence du jour leur est devenue insupportable. 


Combien sommes-nous, l’œil ardent sous le supplice de l’existence, à travailler sous ta lumière ? Vains prophètes, nous chantons tel le cygne face au crépuscule, arrachons avidement les trop rares pépites de plomb qui sourdent dans nos veines, croyant par notre acharnement achever la mythique transmutation… Exsangues, amaigris, rejetés par le génie, nous gravissons notre montagne, pénétrés de l’idée – si douce ! – que le feu que nous réfléchirons à notre tour, une fois parvenus au sommet, guérira l’humanité de ses maux.


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Incarner Ophélia fut déjà quelque chose, mais alors la Lune, ou même une enfant de la Lune, c’est aussi un défi de taille – à ma minuscule mesure, évidemment. Cette fois-ci, c’est Alexandra Banti qui s’est attelée à la tâche ; admirez au passage la superbe coiffe qu’elle a réalisée pour l’occasion !

Oui, ce n’est pas la bonne figure mythique, mais de la Lune à Perséphone il n’y a qu’un pas – Hécate, suis mon regard. Cette remarque m’amuse à vrai dire ; comme cette lune-ci est lumineuse, et délivre des pensées morbides, je m’intéresserais bien à Hécate un de ces jours – les couples ombre/lumière, mon dada. 
J’invoque Selénê, d’ailleurs, même si Artémis eût été un peu à propos, par l’idée du combat, mais à mon sens la déesse solitaire se mariait mal avec l’idée d’amour de l’humanité qui se profile à travers ces enfants de la Lune, qui profitent des rondeurs du Satellite réfléchissant (ça fait très conseiller des grâces, comme périphrase) pour achever leur grand œuvre. Du coup, je me ferais bien un cycle lunaire avec pour fond le travail de l’artiste (une réponse à Proserpina ?), une Lune pour délivrer, une pour isoler, et la dernièreBah ! J’ai encore le temps d’y réfléchir.

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Pour terminer ce billet, un petit mot. Je ne partage pas ces photos pour le plaisir de montrer ma tête, si tel était le cas je ne me priverais pas de vous assommer d’autoportraits attrapés au gré des miroirs ou des trucs que je peux faire de ma vie (tiens, j’ai été à une exposition aujourd’hui, aurais-je raté l’occasion de montrer ma pomme ?). Je les partage car elles s’intègrent dans un travail et une réflexion que je mène depuis des années, sans forcément en parler outre mesure, car à chacun ses paradoxes, mais qui existent. Je garde pour mon Tumblr des séances qui ne se fondent pas forcément là-dedans mais qui me plaisent malgré tout, ou qui illustrent un travail de simple modèle qui se passe parfois de fond (idée qui ne me plaît qu’à moitié d’ailleurs, mais là encore, à chacun ses paradoxes, même si je travaille dessus). Mon corps et mon visage ne sont que des outils pour des ambiances que je souhaite développer, en m’aidant des supports quelque peu pervers que sont Internet en général, et le blog en particulier mais mon but final se trouve à des lieues de tout ceci. On fait avec ce que l’on possède, on trouve des forces où l’on peut.
En revanche, recevoir des commentaires construits et constructifs est toujours un plaisir. C’est surtout pour cela que je continue de poster ici à vrai dire, pour toutes ces personnes desquelles je suis séparée par la vie quotidienne, mais qui portent un regard aiguisé sur ce que je partage, et qui m’aident à tâtonner. Et pour cela, je les en remercie.

CCXXXIX

J’aurai attendu 25 ans pour goûter à un semblant de liberté, dont je me repais chaque seconde avec une délectation grandissante. Même si l’homme, dans ce monde où il s’est enfermé, devra sans doute toujours rendre des comptes (fût-ce à l’État, à autrui, ou à lui-même), il existe encore de ces parenthèses divines où il peut se plonger dans cette volupté, s’abandonner au vent, à ses pensées, à la construction de son être. 

Mes amis, la modernité occidentale est abrutissante. Je vomis ce divertissement permanent qui nous emprisonne et nous ôte toute faculté de raisonner convenablement. Je vomis les cadres qu’elle offre, si limités, où la seule ambition permise se restreint à la vie matérielle. Les désirs de connaître sont tués dans l’œuf ; ceux qui se battent sont privés de parole, ceux qui tentent de réfléchir sont montrés du doigt, moqués, ou mieux, ignorés parce qu’ils « se prennent trop la tête pour rien ».

Évidemment. 

Je souhaite ardemment être présente lorsque le monde s’effondrera. Pour regarder la Terre grouiller, effrayée. Pour mourir, sans doute, mais avec le sentiment que tout est juste. 
Transparent White Star