(Hier soir, en sortant du travail, je me suis précipitée au cinéma pour voir le dernier long métrage des studios Ghibli et de Miyazaki. Je n’ai pas l’impression que cet article contiennent de réels spoilers, néanmoins, si vous souhaitez rester vierge de toute impression sur ce film, je ne peux que vous conseiller de ne pas me lire. En revanche, lisez le poème de Valéry dont est extrait le titre du film, Le Cimetière marin, il donne une autre dimension au film si l’on a le poème en tête, et je ne regrette de ne l’avoir lu qu’après.)
Vision personnelle de Miyazaki sur Jirō Horikoshi, inventeur du chasseur Zéro, l’avion de combat de l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire du
Vent se lève a été fortement critiquée en Asie et
a fortiori au Japon. Accusé de manque de patriotisme dans son propre pays (les prises de position pacifistes de Miyazaki ont été accueillies avec aigreur de la part d’un gouvernement qui cherche à réformer la Constitution sur la possibilité du pays à déclarer la guerre), le film souffre de critiques inverses dans les pays alentour, où la représentation de Horikoshi comme naïf et rêveur a choqué.
En Europe, le rapport au rôle du Japon pendant la guerre est différent. Le Pacifique est loin, les batailles américano-japonaises aussi. Nous avions déjà suffisamment à faire avec nos voisins… ! Pour autant les questions centrales du film gardent tout leur sens chez nous : quel statut donner à la technologie, peut-on lui attribuer une valeur morale, et est-il naïf pour un inventeur de se détacher totalement de son propre contexte politique pour se donner totalement à son grand œuvre, dans toute sa pureté et son idéal ?
Miyazaki est très critique vis-à-vis du Japon. Il n’hésite pas à appuyer sur cette image du Japon arriéré au début du XX
e siècle, dont toutes les innovations ont été importées, et qui rêvait de pouvoir enfin devenir un précurseur. L’Allemagne, partenaire politique et technologique du Japon, méprise ouvertement cet allié qui ne sait que copier. La construction de bombardiers s’intensifie, la guerre est imminente. Et au beau milieu de tout cela, Horikoshi, inventeur génial, ne rêve que de construire de beaux avions, bien obligé d’obéir aux injonctions de la Mitsubishi, mais utilisant la compagnie pour enfin réaliser cet avion parfait, à la courbe aussi sublime que celle d’une arête de maquereau…
Pour autant je n’ai pas eu l’impression que Horikoshi a été totalement sacralisé. Son esprit talentueux est certes mis en valeur, mais avec les conséquences qu’il implique dans la vie privée ; entièrement dévoué à son rêve, il ne rend guère visite à sa famille ; il retrouve un amour de jeunesse, qui a contracté entre temps la tuberculose, mais préfère l’avoir à ses côtés que de l’envoyer au sanatorium, car sa présence l’aide à se dépasser dans les calculs nécessaires à cet avion idéal. Tout doit servir à la réalisation du rêve, au détriment de tout le reste, cruauté innocente qui semble être le lot du génie.
Rien n’est blanc et rien n’est noir, il n’y a pas réellement de partis qui s’opposent comme dans
Mononoke ou
Le Château dans le ciel, la guerre est ailleurs, extérieure et pourtant omniprésente. Ce procédé empêche la caricature et rend les problématiques plus subtiles, plus humaines. Plus sombres, aussi. Ce film, totalement désabusé, émeut. Je pense que c’est le long-métrage le plus personnel de Miyazaki. Tous les thèmes que l’on retrouve dans ses films précédents (le passage à l’âge adulte, la place que l’on occupe dans le monde, la question environnementale…) se retrouvent ici presque mis à nu, comme si le cinéaste livrait encore un peu plus de son propre cœur. Si
Le vent se lève est réellement sa dernière œuvre, elle serait le point final parfait à tout le reste. Toutes les histoires racontées dans l’espoir de sensibiliser, d’émouvoir pour une cause qui lui paraissait juste, avec toujours cette angoisse d’auto-destruction de l’homme, se ramènent toutes à celles-ci. Voilà ce que j’ai voulu dire, et pourquoi j’ai voulu le dire, ai-je eu l’impression d’entendre pendant tout le film. J’en ai eu les larmes aux yeux presque constamment. Et j’en suis ressortie gorgée d’amour pour ma propre race, capable du meilleur comme du pire.
Je suis homme : rien de ce qui est humain ne m’est étranger. Et il faut tenter de vivre, donc. Alors tentons.
Juste pour finir, je voulais vous donner le lien d’un
entretien de Miyazaki avec Télérama, que j’ai trouvé pertinent et boulversant.
Le vent se lève est magnifique (sa musique aussi d’ailleurs, je n’en ai pas parlé, mais ses accents italiens se marient parfaitement avec ce Japon d’avant, presque curieusement. Joe Hisaichi, hein.), et surtout, c'est un
vrai film. Parce que j’en ai assez de ce réflexe, chez certains, d’assimiler le dessin animé à une chose creuse, juste divertissante, pour les enfants. L’animation est un moyen de s’exprimer comme un autre, elle peut servir à faire passer des messages sociétaux, politiques, poétiques, et il y a un peu de tout ça ici. Et de plus, je ne vois pas pourquoi ce qui serait destiné aux enfants devrait forcément être plat et sans intérêt.
Enfin bref, si vous aimez Miyazaki, allez le voir. Si vous vous intéressez à l’histoire du Japon, allez le voir. Le film est sévère. Mais il est juste, parfois, d’être sévère avec ce que l’on aime.