jeudi 2 octobre 2014

Go go Japan 2.0 : 花 の ダイアリー 2014! #3 (le journal 2014 de Hana au Japon #3)

Je ne sais pourquoi je tenais absolument à voir Hiroshima, tout comme je ne sais pourquoi, de tous les événements dramatiques qui ont embrasé les ciels du XXe siècle, la chute des Bombes est celui qui me touche le plus. Rien de bien rationnel dans cette sorte de pèlerinage que je souhaitais accomplir depuis douze ans, donc.


La ville s’est présentée exactement comme dans mon imagination ; calme, ornée de couleurs vives mais poudreuses. Des mondes entiers de lieux communs pourraient être bâtis sur ces fondations ; Hiroshima, ville mélancolique où planent les ternes parfums de douleurs secrètes : même la légère pluie qui tombait ce jour-là semblait participer à cette photographie. Il pleut à Hiroshima, cruelle ironie ! Et l’on est gentil à Hiroshima, toutes les personnes que j’ai croisées souriaient sincèrement, y allaient de leur petit compliment. On attend des déchirements, on se retrouve enveloppé de sérénité – de résignation, dirait la touriste en pleine crise existentielle.  


Le Genbaku-dôme figure la cristallisation parfaite de ce que je m’attendais à trouver. Dans un parc consacré à l’hommage et au regret, le fragile témoin expose son squelette silencieux. Les murs crevés par le souffle et la chaleur de l’explosion laissent apparaître briques et autres lambeaux soigneusement laissés en l’état. Éloquente nudité ! Mon cœur, gorgé de larmes, ne pouvait plus se contenir, et je m’effondrai en longs et violents sanglots. Je ne sais même pas si ces émotions m’appartenaient vraiment, si l’imagination vainquait l’empathie, ou si les deux se transcendaient en une puissante osmose, ou si d’autres chagrins, de nature plus éthérée, firent de mon corps le leur et roulèrent le long de mes joues. Toujours est-il que je pleurai, longtemps, et que ce doux-amer sentiment d’apaisement ne m’envahit que bien plus tard dans la journée. 

L’île de Miyajima, située à un peu plus d’une heure de tram de Hiroshima, y a sans nul doute été pour quelque chose. Par ce temps pluvieux, très peu de touristes semblaient avoir décidé de la visiter, nous laissant tout le loisir de nous croire abandonnés d’une grande partie de la civilisation pendant tout un après-midi. 

Face au tram, le ferry nous emmène à Miyajima durant une brève croisière d’une dizaine de minutes ; l’on voit alors croître lentement le fameux torii flottant qui fait la réputation de l’île…

Vue en arrivant…
…vue en se promenant.
Une petite après-midi pour explorer l’endroit, c’est tout de même assez peu, alors nous nous sommes concentrés sur le mont Misen, crapahutant à nos risques et périls (au point de nous faire attaquer par un troupeau de cerfs).


Les érables se paraient de dizaines de verts différents selon l’opacité des nuages, dont nous rapprochions de plus en plus. Quelle lourdeur contre mes épaules ! L’atmosphère, tiède et moite, me semblait presque tropicale. Le temps était venu de se reposer un peu dans le téléphérique, et de profiter d’un autre point de vue, plutôt spectaculaire…

Les deux premières photos ont été prises avant de rentrer dans l’océan de brume ; sur la dernière, en revanche, elle nous encerclait totalement.
Au sommet, le panorama sur la mer intérieure de Seto Kaiba me donna l’un de ces vertiges délicieux que l’on éprouve parfois en goûtant au sublime. L'arbre qui touche la mer que touchent les nuages, exactement le type de paysages qui me procure des frissons. Comme j’aurais aimé m’y fondre ! 


La journée s’est soldée par l’achat de manju (ces douceurs de la province de Hiroshima en forme de feuilles d’érable) et l’arrivée d’un petit nouveau dans ma famille de goodies Snoopy.

Dites bonjour.
Pour autant, lors du retour, mon esprit vagabondait toujours ailleurs. Bloquée entre ma réalité et mes désirs illusoires, revenir au monde, même lors d’un aussi beau séjour, m’était difficile. Côtoyer en une journée les fantômes d’une aussi violente blessure que celle de la bombe atomique puis les brumes enchanteresses d’une forêt qui borde le Pacifique est éprouvant, tant pour le corps que pour l’esprit. Mais une fois absorbée chacune des sensations de pareil voyage, chaque senteur, chaque lumière, chaque rugosité, dame… ! Serait-ce pour goûter cela que nous sommes vivants ?

Elle est un peu floue, mais je l’aime bien, alors…

10 commentaires:

  1. Plutôt une bonne idée d'avoir fait Hiroshima et Miyajima le même jour. Je me souviens que ça m'avait beaucoup perturbé aussi. Le mémorial des enfants surtout, avec toutes les guirlandes de grues. On avait fait le musée de la paix aussi, c'était vraiment dur comme journée. Tu semblais encore triste sur Miyajima d'ailleurs, la dernière photo me donne cette impression en tout cas. C'est vrai qu'il faut l'avoir fait, c'est dur mais nécessaire. Pfiuuh, tes photos et ton texte ont vraiment fait ressortir tout ce que j'ai pu aussi ressentir, ça fait bizarre.

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    1. Je ne sais pas vraiment si j'étais triste, ce qui est sûr c'est que je me suis retrouvée toute la journée avec une sorte de mélancolie poisseuse accrochée à l'âme. Tout prend une dimension nouvelle en fait après ce genre d'expérience, presque mystique.
      Et du coup oui, les paysages de Miyajima sous la brume devenaient presque surréels.

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  2. J'avais beaucoup aimé visiter Hiroshima. Il y règne vraiment une atmosphère particulière, un mélange de tristesse et d'espoir...

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  3. Bonjour monsieur Snoopy !

    Ces photos sont absolument stupéfiantes, et ne laisse qu'apercevoir j'imagine un paysage aussi grandiose et chimérique. La brume a toujours quelque chose d'attirant je trouve, tellement mystérieuse, qui semble toujours proche, on aimerait s'y perdre, ou juste savoir ce qu'il y a de l'autre côté, sans jamais parvenir à l'atteindre réellement...

    Je ne peux qu'imaginer ces sentiments que tu décris avoir ressentis à Hiroshima, n'ayant je crois jamais vécu d'expérience aussi poignante. Visiter un tel lieu, plein d'Histoire et de souvenirs doit avoir quelque chose de cathartique, qui ne peut laisser indifférent.

    Après avoir lu ces articles, je vois à présent quelle dimension épique ce voyage au Japon a pris, et je comprends mieux que tu aies eu du mal à revenir à la réalité de la vie quotidienne. Mais reviens t'on jamais vraiment de ce genre de voyage ? On y laisse certainement une partie de son être derrière soi, mais on en revient avec de nouvelles expériences, et je te retourne donc ta question, peut-être est-ce donc ça être en vie ?

    :)

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    1. Haha, j'imagine que c'est un mélange des deux. On y laisse de soi et on absorbe d'autres choses ; comme pour toutes choses il faut parvenir à trouver le bon équilibre pour avancer sans trop se perdre.
      La dimension cathartique que tu évoques est tout à fait exacte, on se purge, on se transforme, on apprend. Avoir laissé le bâtiment en l'état en fait presque un décor de théâtre, tant il paraît absurde dans le jardin calme et tranquille qui l'entoure aujourd'hui. Je trouve ce parti-pris vraiment excellent !

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  4. Il y a une ambiance évidemment très particulière à Hiroshima. C'est un sentiment d'une grande violence et un peu trouble, regagner notre petit monde tranquille est évidemment très difficile après.

    Cela me rappelle les voyages scolaires sur les lieux d'anciens camps d'extermination, l'atmosphère étouffante et les souvenirs douloureux des survivants y laissent une empreinte si brutale que l'on ne peut pas s'empêcher d'en avoir la gorge serrée.

    A Hiroshima je trouve que les paysages urbains - que tu décris à merveille, apaisent l'angoisse et le silence, comme une pommade cicatrisante.

    L'île est fabuleuse, c'est le genre d'endroit qui donne envie de se perdre.

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    1. Je suis tout à fait d'accord avec les différents points que tu abordes ici. Je trouve fascinant comme la douleur peut toujours imprégner un lieu des décennies sinon des siècles plus tard, c'est une sublime leçon d'humanité – quel dommage qu'elle semble si vaine.

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  5. Bon sang, ton écriture, ton récit et tes photographies m'ont mis la larme à l'oeil... C'est magnifique...

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    1. Merci. Ce fut vraiment une expérience spéciale, je suis contente d'être parvenue à l'exprimer un peu.

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